Chronique d'Albatross
Albatross, le dernier album du groupe sorti en mars dernier, est un véritable chef d'oeuvre moderne et magnifique, qui est assurément la chose la plus impressionnante, la plus passionnante et même la meilleure en définitive qu'il puisse être donné d'écouter cette année. Des albums comme celui là sont importants, ils sont même nécessaires à la musique, ils sont magnifiques, ils sont surpassants. [...] Le kraut-rock, le bruit, la pop sixties, le post-punk, tout ça, oui, et même plus que ça, rassemblé et magnifié. Grand monolithe hypnotisant et sombre qui garde un goût de mystère même après des centaines d'écoutes, Albatross prend toujours l'auditeur à contre-pied de sa paresse naturelle pour offrir autre chose, une musique troublante, vive. Une accumulation oulipienne interminable de superlatifs ne suffirait sans doute pas à décrire de manière juste cet album et la place qu'il a, selon moi, auprès des grands albums de rock de la décennie.
Emilien Villeroy
Chronique de Die Ewigkeit Lieder de Duck Feeling
[...] La ventriloquie bestiale de ses valeureux aïeux (le chant mal assuré de Nico, au début de The Goy, les assauts de perceuse torturés d'Einstürzende Neubauten au milieu de The Oblivion, le jeu caractériel, le groove post-moderne et le bagou de Bowie sur The Temple, jusqu'à s'inspirer des dernières avancées psychédéliques de son propre groupe sur Die Schönheit) assurant l'épine dorsale de sa musique, le chaman Feeling n'a plus qu'à pré-domestiquer les élus qui entendront sa bonne parole et ses bons cris et s'inspireront alors, à souhait, de son constat, de son animalité ou bien de son optimisme, puisqu'il faut bien le dire, "Die Ewigkeit Lieder" n'est pas une oeuvre déprimante mais bien une aventure intellectuelle, un voyage. Après avoir posé les bases de sa doctrine, avoir percé à vif dans la chair de son humanité, laissant libre cours à ses instincts, Duck Feeling ne vous laisse pas en plan. Dès la fin de la première face de l'album, close sur un ultime appel rageur ("Spinal column!"), une seconde phase s'entame qui fait la part des choses, propose, et renoue quelque peu avec les velléités de dandy fanatique d'Oscar Wilde qui sont ancrées en Duck dans Die Schönheit :
Universe doesn't care about
your little expectations.
It renews from itself,
never wears the same clothes two days running.
Et par le biais d'une musique laissant libre cours à l'imagination, aérienne, qui ne plaque pas l'auditeur contre le sol, ne le martèle pas, Duck relativise, apporte une dimension psychédélique à son message, se fait troubadour (Die Ewigkeit) puis DJ, apportant enfin groove et cool à un parterre d'auditeurs qui, si tout va bien, ne devraient en aucun cas être à l'instant où débute The Temple, prêts à remuer, à danser ("I'm dancing / I'm dancing / I'm trying to feel"), mais qui devront bien s'y plier s'ils veulent pénétrer dans le temple de la création où Duck les invite à s'épanouir : "and we're searching for a new chance of life / and we're trying to sing swan songs / and we're living with one only chord / and we're dying to create the cool". [...]
Joe Gonzalez
Interview
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À propos du live
Mad Rabbit : Au moment où on crée en studio, on n'a absolument pas en tête le live. C'est ensuite, quand on se dit "que va-t-on jouer ?", que l'on regarde ce qu'on a et que l'on réapprend notre chanson pour la jouer devant un public, en général en la simplifiant et en mettant en avant un aspect particulier de la chanson parce que l'on n'a pas les moyens, à deux, de tout reproduire.
Duck Feeling : Et ça c'est vrai depuis les débuts du groupe. Parfois on a de bonnes surprises et la chanson est faisable, même avec seulement une guitare et une voix ; ça s'accorde bien, par exemple, avec "Rhythms of Concrete" où on avait l'envie de mettre moins de couches qu'auparavant, d'avoir un son plus nu.
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Le futur en duo
Mad Rabbit : Et puis quand on n'est pas d'accord on relativise parce que je n'ai pas de souvenir où, sur un point de désaccord, la solution commune n'a pas été meilleure que celle individuelle. L'autre a toujours bien fait de mettre la mauvaise idée de l'un à la poubelle. C'est l'idéal d'une collaboration.
Duck Feeling : Et puis c'est trop important pour nous pour qu'on arrête. On a déjà l'idée pour un autre album. On va toujours de l'avant. J'ai beaucoup apprécié enregistrer mon disque tout seul mais je ne pourrais pas faire que ça. On a la même vision. On est complémentaires et on se ressemble assez pour avoir les mêmes envies globales.
Thelonius H. et Joe Gonzalez
Chronique de Massive Liquidity de Steve Dalachinsky and The Snobs
[...] Ni les instruments utilisés par Duck Feeling et arrangés et mixés par Mad Rabbit ni leur méthode de composition ne s'approchent ici de la stylistique rock. Sitar, meuleuse, bidons et seaux métalliques, guitares, orgue et un vieux magnétophone, tous mis à profit dans une démarche post-industrielle (si l'indus était la musique de l'urbanisme envahissant, alors les percussions des Snobs créent le son d'une banlieue semi-rurale spatialement étouffante) et post-moderne où le groove africain rencontre le bruit et la construction cérébrale européenne. La démarche est résolument ambitieuse et l'expérimentation sur le son, quelle qu'en soit la part d'improvisation, rappelle davantage la folie free des disques les plus aventureux du label SST Records (à l'époque où l'avant-garde rock se concentrait sous l'étiquette "post hardcore").
Descendant direct de la poésie beat (et notamment de William Burroughs et Allen Ginsberg), Dalachinsky est un ami du son avant d'être un amant du mot. Le sens derrière ses choix linguistique est fort et c'est important (on évite les babillages onanistes que j'ai tendance à reprocher à une partie des praticiens du verbe) mais c'est avant tout parce que leurs sons l'envoutent qu'il choisit des syllabes. Il peut alors paraitre tour à tour magnifique et charismatique puis agaçant et dépourvu d'inspiration lorsqu'il répète mots et sons, en invente, en mélange (in Ah Mores) et se lance avec un sérieux déroutant dans une énumération non pas de signifiés, de concepts mais de signifiants, de phonèmes.
[...] Sans être aussi radical que le manifeste artistique de Duck Feeling et sans même réussir aussi franchement à coupler le plaisir cérébral de l'expérimentation au régal physique du groove comme "Rhythms of Concrete" a pu le faire, cette collaboration étonnante est une totale réussite. Un enregistrement exigeant, dont la profonde recherche (sonore, psychique et d'inconnu) n'aura pas fait chou blanc. Comme le dit Steve Dalachinsky lui-même à chaque fois qu'il tend la main vers l'inconnu : on en revient toujours avec quelque chose de neuf.
Joe Gonzalez